Rencontre sur la toxicomanie : « L'Algérie n'est pas à l'abri de cette épidémie mondiale »
Les spécialistes en psychiatrie et en lutte contre la toxicomanie s'accordent tous sur un point: la consommation des drogues est en continuelle augmentation, du moment que tous les facteurs interactifs sont réunis.
La disponibilité du produit, les mutations sociales et l'apparition de la parabole et de l'Internet influent sur l'individu et le poussent vers ce que les spécialistes appellent «les médiateurs du plaisir» tels que les stupéfiants, l'alcool et le tabac. L'Algérie qui était considérée comme une zone de transit tend à se transformer progressivement en espace de consommation où les drogues dures telles la cocaïne, l'héroïne, l'extasie ont fait leur apparition, puisque, diront des spécialistes en psychiatrie, rencontrés jeudi lors du congrès international sur la psychiatrie, organisé par la société algérienne de psychiatrie (SAP) en collaboration avec la société franco-algérienne de psychiatrie (SFAP), l'association algérienne des Psychiatres d'exercice libéral (AAPEP) et l'association des psychiatres d'Oran (APO), «ces toxicomanes existent actuellement et nous en avons traité plusieurs cas».
L'Algérie n'est donc pas à l'abri de cette épidémie mondiale puisque, nous explique, M. Hakim Ali Lakhdar, spécialiste en neuropsychiatrie, «les saisies de drogues effectuées au niveau des frontières ne représentent que 10% des quantités écoulées». Qu'est-ce qui pousse les jeunes à consommer ces produits toxiques? Pour Mme Kourich Tsouria, professeur agrégé en psychiatrie, «ce sont les conditions sociales qui sont la première cause de ce fléau. Un jeune qui ne trouve pas de travail, qui n'a pas de logement, qui n'a aucun moyen de distraction et qui ne vit pas une vie stable, cherche automatiquement à échapper de ce vécu. A ses yeux, c'est la drogue qui lui permet d'oublier, pour un moment, tous ses problèmes». Son collègue, un spécialiste en neurologie, «la drogue touche, désormais, toutes les couches sociales. Elle est présente dans tous les quartiers, elle est consommée par des jeunes appartenant à la couche sociale la plus déshéritée et même ceux appartenant à la classe bourgeoise. Pour des raisons multiples, chacun cherche la pilule du bonheur».
Pour confirmer sa thèse, Mme Kourich se base sur une étude réalisée à l'EHS de Sidi Chami d'Oran et qui a fait ressortir que sur 1.100 cas de toxicomanie étudiés sur une période de 10 ans, 67% sont des jeunes chômeurs. Evoquant ensuite les difficultés rencontrées dans l'accomplissement de leur travail, les deux spécialistes racontent que dans leur cabinet de consultation, ils sont souvent confrontés aux dealers qui viennent demander une prescription de tranquillisants ou de psychotropes pour les vendre ensuite et aux toxicomanes qui viennent dans un état de crise, menacer le médecin pour lui prescrire ces produits. Sous la menace, certains prescripteurs sont contraints de faire des ordonnances à ces patients particuliers afin d'éviter les dégâts. Souvent, ce sont des dealers qui se font passer pour des patients en manque mais, en réalité, ils veulent juste acheter le médicament pour le vendre à 200 DA le comprimé. C'est le cas pour les tranquillisants Rivotril et Diazepam qui sont dangereux pour la santé et leur consommation provoque un effet immédiat d'overdose». Quant au Pr Farid Kacha, président de la SAP, il a indiqué, pour sa part, qu'actuellement on ne parle plus de toxicomanie mais d'addiction pour désigner tout abus dans la consommation d'un produit. Le mot toxicomanie est péjoratif, tandis que addiction sonne mieux chez le malade». Concernant le congrès international, il indique que cette rencontre se veut un moyen de sensibiliser les décideurs sur la prise en charge des addictés. Il annonce, dans ce contexte, que le ministère de la Santé envisage la réalisation, d'ici 3 ans, de 15 structures principales de prise en charge des addictions et une cinquantaine de centres intermédiaires pour les soins ambulatoires.
B. Mokhtaria
Le Quotidien d'Oran
17 mai 2008