Prise en charge des maladies mentales Psychiatrie, le parent pauvre de la médecine ?
Parent pauvre de la médecine, la psychiatrie ne peut pas soulager à elle seule toute la désespérance qui consume de son petit feu sournois toute la société du mal-être. Désespérée mais pas abattue, la corporation se bat dans l'anonymat et fait honneur à cet humanisme qui a choisi le pari des pauvres et des désarmés qu'on ne saurait éternellement cacher au risque de se déjuger. Poignante émission de terrain, jeudi matin, sur les ondes de la Radio Bahia consacrée aux difficultés de la prise en charge de la pathologie mentale à Oran et par extension en Algérie. Intervention à chaud et unanime de la corporation: «Il est impossible de psychiatriser toute la détresse humaine», résume un praticien. Entendre par là également que «la prise en charge efficiente du trouble mental ne dépend pas de la seule structure hospitalière, mais tout aussi de l'environnement le plus immédiat, la famille et les proches notamment pour ne pas dire la société en entier». Au micro, chaque patient raconte sa petite histoire et surtout sa satisfaction d'être pris en charge comme il se doit. Infanticide, maladie, chômage, drogue, emprisonnement, divorce et rejet des autres... l'oubli et bien d'autres aléas de la vie sont avancés par les internés comme pour dire lucidement que la maladie n'est qu'un court intermède qui survient brusquement pour briser le cours normal d'une existence. «L'hôpital offre au moins à celui qui se sent perdu au milieu de son environnement des repères qu'il n'a pas ailleurs», avance un psychiatre qui n'ira pas jusqu'à affirmer que l'asile peut remplacer l'environnement naturel de l'interné. «De 1962 jusqu'à nos jours, 12.000 praticiens qui ont été formés, 4.000 seulement continuent à exercer la psychiatrie». «En 1962, l'Algérie comptait 10.000 lits, elle n'en compte que 4.000 lits», avance un praticien sur les mêmes ondes. Autant de comparaisons qui laissent comprendre que la psychiatrie est vraiment le parent pauvre de la médecine en Algérie.
En plus du problème de la surcharge évoqué par tous les intervenants, médecins et personnel paramédical de l'hôpital psychiatrique de Sidi Chahmi et de ses conséquences sur la prise en charge, la rupture de stocks de certains médicaments, essentiels dans le traitement de la maladie, a été également soulignée. «L'hôpital doit faire face aux cas les plus urgents. Le malade, agité ou présentant de réelles menaces pour lui-même ou pour l'ordre public, est acheminé via le pavillon 35 (urgences psychiatriques) à l'hôpital psychiatrique où il doit séjourner pour un moment, le temps d'être stabilisé. Une fois sorti, il est pris en charge en post-cure au niveau de la polyclinique de Ibn Sina (Victor Hugo) ou Eckmühl où il doit surtout s'approvisionner en médicaments notamment avec le modecad, un psychotrope administré mensuellement sous forme d'injection pour l'aider à se stabiliser. Voilà en raccourci le parcours normal d'un interné», explique l'animateur de l'émission. «Toutefois ce médicament, qui n'était pas disponible il y a quelque temps au niveau du dispensaire, a fait que nombreux patients ont rechuté. Comme si rien n'a été fait pour le malade», fera remarquer un paramédical du dispensaire de Victor Hugo. Et pourtant, ce psychotrope est aussi vital que l'insuline l'est pour le diabétique. Le dispensaire psychiatrique de Ibn Sina est trop exigu pour les 150 patients qui s'y rendent quotidiennement et pour le personnel qui fait ce qu'il peut pour venir en aide à tous ces patients pour la plupart de condition précaire et qui ne peuvent se permettre l'achat d'un psychotrope chez les officines de même usage à 16.000 dinars la boîte.
Un personnel tout de même dévoué et engagé dans un travail des plus harassants et surtout des visages apaisants et familiers à tous les patients et leurs proches. Ce dispensaire de l'avis de tous nécessite des réaménagements et ce n'est pas parce qu'il faut cacher ce genre de maladie qu'il est interdit de s'en soucier. Le directeur de la Santé de la wilaya d'Oran, en clôturant l'émission, ne disconvient pas face à tous les propos avancés; il dira «veiller à ce que les conditions de la prise en charge soient améliorées». Pour revenir à la psychiatrie, les statistiques sont affolantes et à chaque colloque ou journée scientifique qui lui est consacrée, on entrevoit le trouble mental comme une vraie menace sanitaire. «La société qui rejette cette maladie en lui conférant le sceau du préjugé de l'inimitié, en amont, ne favorise pas la seule prise en charge clinique», précise plus d'un praticien. Alors qu'on voit que les barrières entre le normal et le pathologique dans ses origines premières sont de plus en plus invisibles et minimes tant que les causes sont tout aussi sociales, à l'exemple du chômage ou de l'échec qui dévalorise l'image de la personne vis-à-vis d'elle-même. Un SDF qui vit dans la rue n'est pas forcément un malade qu'on doit soigner dans son âme mais bel et bien un marginal de la société qui l'a botté sur la touche. Un harrag qui s'en va, englouti par le mirage de ses propres illusions, peut à lui seul représenter le cas le plus typique de la désespérance d'un mélancolique qui, dans les propres termes de la psychiatrie, a perdu son intime objet d'amour. Manque de perspective, manque de repère, impossibilité de se projeter dans l'avenir, en un mot: défaut de feuille de route pour tracer les sillons de sa propre trajectoire. Voilà en somme les vrais maux de la société qui amplifient le plus souvent le désir du divorce avec le monde du réel. Le plus vieil interné de l'hôpital psychiatrique de Sidi Chahmi séjourne dans cet asile depuis 1957, toute une vie !
T. Lakhal
Le Quotidien d'Oran
19 avril 2008