Dr Benharkat, médecin légiste : « Le suicide reste un sujet tabou »
Le phénomène du suicide reprend de l'ampleur après avoir diminué durant les années 1990, selon le docteur Benharkat, médecin légiste au CHU Benbadis. « Les jeunes adultes ont tendance à vouloir choisir cette solution pour fuir les problèmes du quotidien », affirme-t-il.
Les problèmes psychologiques, psychiatriques, événementiels et sociaux sont responsables plus ou moins de ce choix de mourir. Les difficultés d'adaptation, le chômage ou encore la crise de logement déterminent cette « pathologie », qualifiée par le défunt professeur Belkacem Bensmaïl d'« appel à la vie », puisqu'en voulant mettre fin à leur vie, ces personnes, paradoxalement, lancent un appel au secours. D'après une étude effectuée entre 1985 et 2003, par le Dr Benharkat, 331 cas de suicide ont été enregistrés, dont 252, soit 76% sont âgés entre 15 et 40 ans. Les hommes sont beaucoup plus nombreux à se donner la mort, avec un taux de 62% ; la tranche d'âge la plus touchée est celle de 21 à 25 ans. Le taux des suicidés en milieu urbain est plus élevé (60%) que celui en milieu rural (40%), alors que les célibataires sont plus touchés (75%), par rapport aux mariés (25%). Les sans-emploi sont plus concernés par le phénomène que les autres avec un taux de 73% ; sur la totalité des cas, 33% ont des antécédents psychiatriques. Cependant, le suicide reste un sujet tabou dans notre société, puisque, toujours en rapport à ces 252 cas, pour 65%, les motifs sont soigneusement dissimulés par la famille.
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Beaucoup de facteurs poussent ces personnes à mettre fin à leurs jours, toujours selon cette étude, tels que les conflits familiaux, conjugaux, les problèmes d'ordre professionnel, la stérilité et l'impuissance sexuelle, l'échec scolaire et universitaire. Les problèmes de grossesses hors mariage et de virginité demeurent les causes les plus courantes des suicides chez les jeunes filles. La pendaison reste la manière la plus fréquemment utilisée dans 44,45% des cas en milieu rural, alors que 35,71% en milieu urbain, ont opté pour le saut dans le vide. D'autres « procédés » de suicide ont également été enregistrés, moins fréquents que les deux premières, tels que l'absorption de médicaments, ou encore par arme à feu lequel a été estimé à 3,17% sur les 251 cas étudiés. Mais le médecin légiste explique en ces termes : « Tout dépend de la ville où se trouve le suicidaire ; s'il réside dans une ville côtière, il optera pour le suicide par noyade, comme à Annaba, où cette façon reste assez courante, à Constantine, est la ville où l'on se jette par les ponts, etc. ». Selon lui, le taux de suicide augmente chaque année, et depuis le début de 2007, une dizaine de cas ont été enregistrés à Constantine et ses environs, dont celui survenu récemment à Chelghoum Laïd, où, pour rappel, un père de famille s'était donné la mort à son domicile en se lardant de plusieurs coups de couteau. Quant aux suicidaires, le Dr Benharkat précisera que le rôle des psychologues, psychiatres, médecins, enseignants et surtout celui de la famille, reste primordial pour l'écoute et l'aide de cette frange de la société psychologiquement fragilisée. Par ailleurs, il mettra l'accent sur l'aspect juridique de cet acte, lequel « ne suscite pas de poursuites judiciaires en Algérie, à l'exemple de l'Angleterre, qui, dans les années 1960, punissait sévèrement le suicidaire, et en cas de décès de celui-ci, c'est sa famille qui était traînée en justice et même privée de ses droits tels que l'héritage ». Pour lui, le suicide reste dans notre société sous-évalué, puisque 10 à 20% des cas ne sont pas pris en compte.
Nesrine B.
El Watan
5 juin 2007
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