La folie progresse en Algérie : 26 307 nouveaux cas de psychose, névrose et dépression en 2005

Une enquête menée par le programme national de santé mentale fait ressortir un déficit en psychiatres, infirmiers et lits d'hospitalisation.

Parent pauvre de tous les programmes de santé mentale de par le monde, la psychiatrie est une spécialité marginalisée, quand bien même elle prendrait en charge de plus en plus de malades. Les résultats de cette spécialité ne sont pas aussi évidents et surtout pas aussi palpables que dans les autres disciplines de la médecine ; la psychiatrie pâtit d'une étiquette que lui a collée la société : "la spécialité des fous." La psychiatrie demeure pourtant une spécialité à part entière et elle n'est pas en marge du progrès de la médecine, puisque grâce aux nouvelles techniques de diagnostic et aux récents moyens thérapeutiques, nombre de malades se sentent mieux et reprennent leur place dans la société. Eu égard à la spécificité de cette frange de malades, le ministère de la santé a installé un comité technique : le programme national de santé mentale.

Chargée voilà quelques mois de mener une étude sur le terrain et d'élaborer une stratégie nationale, cette structure a présenté hier ses conclusions, lors d'une séance de travail, tenue au siège du département de la santé. Lors de cette journée de travail, présidée par Amar Tou, ministre de la santé, de la population et de la réforme hospitalière, le Dr Boualem Cherchali, chargé du programme national de santé mentale au département de la santé, estime que selon les résultats de l'enquête algérienne sur la santé de la famille, la prédominance des pathologies psychiatriques avoisine les 0,5% de la population. En se basant sur ce taux, les spécialistes évaluent le nombre de malades à 150 000 cas en Algérie. Le Dr Cherchali a révélé dans ce sens que 26 307 cas ont été recensés durant la seule année 2005. Sur les cas recensés, les patients atteints de psychose représentent 13 480 malades, soit 51,24%, les épileptiques sont au nombre de 10 052, à savoir 38,21%, les malades dépressifs 1 560 atteignant le taux de 6,76%, les névrosés figurent à l'avant-dernière place avec 753, soit 2,86% et enfin 102 cas de démence, soit 0,38%.
Estimée à une prévalence de 0,2% parmi la population globale, l'épilepsie touche à elle seule quelque 63 000 personnes. Selon le rapport présenté par le Dr Boualem Cherchali, les maladies mentales sont prédominantes chez l'adulte citadin de plus de 40 ans et sans distinction de sexe. Même si le nombre de malades atteints de ce genre de pathologie est en nette augmentation, il n'en demeure pas moins que les médecins spécialistes et les structures hospitalières dédiées à la psychiatrie s'avèrent en réelle inadéquation avec les vrais besoins. Les résultats de l'enquête en matière de couverture sanitaire en psychiatrie font ressortir qu'en Algérie, il y a 1,43 lit pour 10 000 habitants, 1,13 psychiatre pour 100 000 habitants et 6,44 infirmiers spécialisés en psychiatrie pour 100 000 habitants. Selon cette même enquête, chaque psychiatre a en charge pas moins de 25 lits d'hospitalisation en structure spécialisée. En tout et pour tout, le pays comptabilise au jour d'aujourd'hui 378 psychiatres et 2 128 infirmiers spécialisés, et ce nombre est jugé très en deçà des besoins réels pour une bonne prise en charge des malades.
Cette réalité du terrain a conduit, selon le Dr Boualem Cherchali, à une saturation des services des urgences psychiatriques et il avance deux raisons pour cela : le déficit en lits d'hospitalisation en psychiatrie et la politique de la sectorisation qui a montré ses limites, car elle ne convient plus à la demande des soins. Outre le manque de structures spécialisées, les patients doivent faire face à des ruptures de stock cycliques quant à leur traitement. Même s'ils sont considérés comme malades chroniques, la liste des médicaments touchés par la gratuité demeure limitative, ce qui a des répercussions sur les résultats thérapeutiques. Pour améliorer la situation, le programme national de santé mentale prévoit toute une panoplie de mesures dont la formation de 400 médecins généralistes pour être opérationnels dans les centres intermédiaires, pour la prise en charge des pathologies fréquentes, et aussi la création d'un certificat d'enseignement spécialisé en psychiatrie des enfants et des adolescents. Selon les estimations du même programme national, il est impératif de former dans l'immédiat 120 pédopsychiatres et 120 autres infirmiers spécialisés. Il est prévu aussi la création de 5 nouvelles structures psychiatriques respectivement à Sidi Bel-abbès, Mostaganem, Sour El-Ghozlane, Batna et Ouargla. Pour sa part, le ministre de la santé a mis l'accent sur la nécessité de la mise en application du programme national de la santé mentale.
Il rappellera aussi que 24 programmes nationaux de santé sont d'ores et déjà finalisés et budgétisés. Il affirmera à ce point que l'état leur allouera les enveloppes financières nécessaires à leur mise en place. Quant aux programmes des maladies asthmatiques et orphelines, il déclarera qu'ils seront bientôt finalisés.

Saïd Ibrahim
Liberté
27 Août 2006