Les troubles mentaux chez les migrants : l'hypothèse de la défaite sociale

Le GRAS d'Oran organise une conférence-débat :

Les troubles mentaux chez les migrants : l'hypothèse de la défaite sociale

le lundi 17 mars 2014  à 10h00, Salle de conférence du GRAS, Université d'Oran, Ex-IAP, Es-Sénia,

animée par Mohammed Taleb, psychiatre, Président de la Société Franco-Algérienne de Psychiatrie.

La migration représente un phénomène croissant dans le monde. Elle constitue une part importante dans les évolutions démographiques. Le nombre de migrants dans le monde a plus que doublé depuis 1975, la plupart vivant en Europe (56 millions), en Asie (50 millions) et en Amérique du Nord (41 millions). En 1990, les migrants représentaient plus de 15% de la population dans 52 pays.

 Pour la Conférence ministérielle européenne de l’Organisation Mondiale de la Santé sur la santé mentale de 2005 : « Les populations immigrées... A l’arrivée dans le pays d’accueil, la plupart des familles perdent leurs repères habituels. Projetés dans des environnements très différents de ceux qu’ils ont connus jusque là, la barrière linguistique, l’ignorance des codes culturels et des coutumes des pays d’accueil, mettent d’emblée les migrants en situation de stress et augmente le risque d’inadaptation. ».

 Les situations politiques et économiques actuelles en Europe font de l'expérience migratoire un processus extrêmement difficile. Des milliers de personnes émigrent et les niveaux de souffrance et de stress sont, dans certains cas, particulièrement sévères. Certains d’entre eux sont originaires de pays qui ont connu des crises politiques, des guerres civiles et des massacres auxquels se surajoutent des problèmes économiques. Par ailleurs, l'expérience migratoire est souvent un processus marqué par la perte et le changement. Ces deux dimensions représentent une source de stress social dont l’intensité et la durée peuvent aboutir à des conséquences très négatives sur la santé mentale des individus concernés et rendraient les migrants et leurs familles plus vulnérables au stress psychique et social. Un certain nombre de données montrent en effet que les populations de migrants sont à risque élevé de troubles mentaux dont, la schizophrénie, le suicide, la dépression et l'abus d'alcool et de drogues. L'environnement social dans lequel ils s’installent et les conditions de vie dans les pays d’accueil ont aussi une influence considérable en plus de l'exposition antérieure à divers traumatismes dans les pays d’origine. Le niveau de soutien social et affectif dans l'exil est également un déterminant important dans la gravité des troubles possibles.

 Dans beaucoup de pays, l’approche de ces problèmes a été longtemps de type culturaliste, au sens où la culture représente l’élément principal, voire exclusif, à travers lequel se font les analyses des difficultés psychologiques des migrants au détriment des approches sociales et psycho-sociales. En effet, les facteurs sociaux tels que la marginalisation sociale, l’exclusion, la pauvreté et les difficultés d’insertion, peuvent considérablement influer sur la relation entre immigration et mauvaise santé mentale. L’adversité sociale, l’urbanicité, la discrimination, et l’identification ethnique négative, constituent chez les migrants des sources importantes de stress chronique qui se produit notamment au cours des interactions sociales. Elles contribueraient de manière chronique à des expériences « de défaite sociale » chez le migrant telle que décrite dans les modèles animaux. Par ailleurs, l'hypothèse de la densité ethnique suggère que l’incidence des troubles mentaux chez les groupes de migrants varie inversement avec la taille relative de ces groupes au niveau local.

 Au-delà même du modèle de la défaite sociale issu du modèle animal du stress chronique et de l'hostilité sociale, notre hypothèse est que la disqualification sociale au sens où l’entend Serge Paugam représente une situation bien plus comparable à celle des migrants et surtout de leurs enfants. Leur position est socialement dévalorisée et disqualifiée avec un risque de stigmatisation. Ces « jeunes en survie » connaissent des difficultés réelles d’intégration. « Ainsi, le problème qu'affrontent ces jeunes n'est pas d'être en dehors de la société, … Mais ils ne sont pas non plus dedans puisqu'ils n'y occupent aucune place reconnue et ne paraissent pas susceptibles de pouvoir s'en ménager une».

 Une piste de recherche possible concernerait la modélisation du concept de disqualification sociale et la mise en place d’outils de mesure du phénomène.

 

Mohammed Taleb