Etude interculturelle de la Schizophrénie
Comparaison de patients français autochtones et maghrébins de seconde génération*
M. TALEB, F. ROUILLON, F. PETITJEAN, Ph. GORWOOD
* Etude parue dans Psychopathology : «Cross-Cultural Study of Schizophrenia» 1996
INTRODUCTION
Si l’étude interculturelle des troubles psychotiques est ancienne (1), elle fut longtemps l’objet d’élaborations théoriques au détriment des approches épidémiologiques interculturelles qui constituent pourtant un des abords essentiels à la compréhension de l’influence culturelle sur le processus schizophrénique. Elles supposent la réalisation d’études rigoureuses (2) et l’utilisation d’outils permettant une fiabilité des comparaisons (critères diagnostiques, techniques de recueil des données, échelles d’évaluation psychopathologique...). De très nombreuses stratégies de recherche ont été utilisées pour l’approche transculturelle des troubles mentaux. Parmi cette hétérogénéité méthodologique, il convient de souligner que le recueil de données peut se faire au niveau de centres géographiquement différents ou à partir de populations de cultures différentes vivant dans le même environnement social et économique (3). Cette dernière situation est réalisable du fait de l’implantation dans certains pays de populations immigrées d’origines ethno-culturelles différentes de celle du pays d’accueil.
L’implantation en France d’une population d’origine maghrébine est une des situations susceptibles d’intéresser le chercheur pour des études comparatives. En effet, depuis quelques années l’intérêt des psychiatres s’est déplacé des migrants (4, 5, 6) vers les générations issues de la migration (7, 8, 9). Les sujets dits «de seconde génération» donnent l’occasion d’entreprendre des études comparatives intéressantes à plus d’un titre. Ils ont en principe accès aux même structures de soins que les autochtones et peuvent, par exemple, être évalués avec les mêmes instruments de mesure sans que se pose le problème de la barrière linguistique.
On entend par Maghrébins «de seconde génération» les enfants nés de parents ayant migré des pays du Maghreb vers la France et y résidant encore (10). La plupart d’entre eux sont de nationalité française. On les appelle également les générations issues de l’immigration, les enfants de la transplantation, les maghrébins de France, les français d’origine maghrébine, les enfants post migrants, les enfants de la transculture et plus récemment les «Beurs». Ces différentes appellations traduisent une difficulté certaine à définir d’une manière précise cette population. Leurs parents sont originaires des pays du Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie) et se sont principalement installés en France à la suite du flux migratoire des années soixante. La plupart de ces enfants sont nés en France ou s’y sont installés très jeunes. Le recensement de 1982 (8) estimait la population d’origine maghrébine, vivant en France, à prés de 1 800 000 personnes dont plus de 400 0000 adolescents.
Rappelons, enfin, que les pays du Maghreb sont relativement homogènes sur le plan ethno-culturel et social: on y parle les mêmes langues (arabe ou berbère), la religion musulmane y est prédominante, leur histoire et leurs origines sont communes, les modes de vie et les structures sociales y sont similaires... La situation en France des immigrés originaires de ces pays est également identique. Vivant pour la plupart, dans les mêmes ensembles sociaux, occupant des situations professionnelles et économiques comparables, ils subissent les mêmes difficultés de l’existence.
De nombreux auteurs se sont récemment interrogés sur l’identité des maghrébins de deuxième génération. Si cette question fait encore l’objet de débats, nous pouvons néanmoins repérer trois éléments essentiels qui caractérisent ces sujets :
- Ils sont issus de familles de migrants mais ne sont pas migrants eux-mêmes; ils sont nés et ont grandi en France.
- Ils sont d’origine ethnoculturelle maghrébine. En effet ils ont été pour la plupart élevés selon les principes éducatifs de leurs parents.
- Ils sont en situation transculturelle car pour intégrer et assimiler une partie de la culture dominante et une partie de la culture parentale, ils doivent nécessairement refuser un peu de chacune d’elles (11).
Les patients schizophrènes issus de ce groupe social subissent donc deux phénomènes: la situation transculturelle qu’ils vivent avec tous les problèmes identitaires que cela peut engendrer, le processus pathologique qu’ils présentent (la schizophrénie) connu pour affecter profondément la perception de la réalité par l’individu.
La question qui se pose alors tout naturellement est de savoir si ces aspects déterminent chez ce groupe de patients des particularités cliniques, épidémiologiques, évolutives et pronostiques, du trouble dont ils souffrent.
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