Le suicide prend des proportions inquiétantes en Algérie
Phénomène nouveau en Algérie, ou plutôt caché auparavant selon des spécialistes, le suicide a pris des proportions inquiétantes, touchant essentiellement des jeunes de 15 à 30 ans.
Ces derniers mois, les journaux rapportent presque quotidiennement des cas de suicide, notamment en Kabylie, dans les régions de Tizi Ouzou et Béjaïa (à respectivement 110 et 260 km à l'est d'Alger). Rien que ce lundi, des journaux font état de quatre suicides dans différentes villes algériennes. La presse décrit souvent la même histoire: un adolescent, apparemment heureux, est retrouvé pendu à un arbre; un jeune homme se jette d'un pont ou à la mer. Les motifs sont difficiles à établir pour les hommes. Mais pour les femmes, le geste désespéré est souvent la conséquence des mêmes souffrances: un mariage arrangé, forcé, une grossesse non désirée, un chagrin d'amour. C'est ce que montrent les rares études faites à partir de chiffres de la police et des hôpitaux.
En l'absence de statistiques officielles et d'études scientifiques, ce phénomène apparaît comme nouveau, notamment par son ampleur. Ceux qui s'y intéressent, en particulier des sociologues et des étudiants, en sont réduits aux hypothèses. Pour les uns, les Algériens se suicidaient moins ou pas du tout avant les années 90. L'apparition de la violence islamiste, avec son cortège d'horreurs, de tueries et de massacres collectifs, a banalisé la mort et la souffrance. Cette violence, mais également le désespoir des jeunes attirés par une vie occidentale plus facile, telle qu'ils la voient grâce aux paraboles, l'impossibilité de rejoindre "l'Eldorado" européen tant rêvé, constitueraient les facteurs déclenchants.
Les jeunes des quartiers populaires d'Alger, tous en attente d'un visa ou d'une "occasion" pour partir d'Algérie, le confirment volontiers. Par "occasion", ils entendent l'achat d'un visa, de faux papiers ou même l'embarquement clandestin à bord d'un bateau, la célèbre "harraga". Pour d'autres, le suicide a toujours existé, mais il était tabou; on n'en parlait jamais. Il a été tiré de "l'anonymat" par la presse après sa libéralisation en 1989, une fois achevé le régime de parti unique qui a dirigé l'Algérie d'une main de fer depuis l'indépendance en 1962. "Comme l'homosexualité, les naissances hors mariage, le suicide existait, mais on n'en parlait pas, les familles touchées le cachaient soigneusement", estime Tahar, étudiant en sociologie. Il ajoute que c'est la presse qui en parle plus souvent, donnant la fausse impression que c'est un phénomène nouveau, tout en reconnaissant qu'il pourrait y avoir une augmentation. Selon lui, celle-ci s'explique statistiquement par la poussée démographique qui a vu l'Algérie passer de 10 millions d'habitants en 1962 à 31 millions aujourd'hui. "Il y a plus de monde, notamment des jeunes, donc plus de suicides", résume-t-il.
Les imams, dans leurs prêches, stigmatisent le manque de foi et l'éloignement de plus en plus fort des Algériens de l'Islam, censé les protéger contre toute "déviation". Pour l'Islam, un suicidé est un véritable apostat, qui n'a pas le droit à des funérailles religieuses et doit être inhumé à l'écart des autres.
ALGER, (AFP)
22 sept 2003