Toutes les 12 heures, un Algérien se suicide
Le phénomène prend une ampleur inquiétante
Le taux du suicide a connu un bond effrayant : il est passé de 0,94 en 1999 à 2,25 pour 100 000 habitants en 2003. Des hommes, des femmes mais aussi des adolescents se donnent la mort de manière violente. Toutes les 12 heures, un décès est enregistré. Des statistiques loin de la réalité : le suicide étant un sujet tabou, la sous-déclaration reste très importante.
Nawal Imès - Alger (Le Soir) - Les études effectuées en Algérie démontrent que la région centre du pays connaît une plus grande concentration des cas de suicide. La triste palme d'or revient aux villes de Tizi-Ouzou et de Béjaïa. La prévalence du suicide y est estimée à 13,74% et 7,82%. Les causes ?
En dépit des nombreuses enquêtes menées dans les deux régions, le phénomène n'a toujours pas été totalement cerné. Une sociologue, enseignante au département de psychologie de l'université de Tizi-Ouzou, a expliqué que c'est des facteurs sociaux liés au développement de la ville qui ne s'est pas accompagné d'une évolution des mentalités. L'étude menée par Mme Yahiaoui, professeur au département psychologie de l'université de Tizi-Ouzou, a démontré que sur un échantillon de jeunes femmes âgées de 18 à 25 ans ayant fait une tentative de suicide, une grande proportion a avoué avoir été en conflit avec des membres de la famille pour des questions liées à l'autonomie. Mais de manière plus générale, les participants au séminaire sur le suicide organisé au niveau de la bibliothèque communale d'El- Harrach ont été unanimes à dire que le suicide est essentiellement dû à des problèmes socio-économiques liés au chômage, à la mal vie et à l'endémique crise du logement.
Un diagnostic conforté par les statistiques entre 1993 et 2003 : 63% des personnes qui se font violence sont sans profession, 11% sont fonctionnaires et 6% sont étudiants. Les hommes sont plus enclins à se suicider même si les femmes font beaucoup de tentatives qui s'avèrent infructueuses. Un constat justifié par les moyens utilisés par les deux sexes. La gent féminine utilise souvent des barbituriques tandis que les hommes ont recours à des méthodes plus violentes comme la pendaison ou les armes à feu. Ces tentatives de suicide ratées se soldent souvent par des conséquences très lourdes.
Un traitement médical lourd doit être envisagé tandis que s'impose un suivi psychologique pour éviter les récidives. Dans son intervention, le professeur Khiati qui s'est penché sur l'épidémiologie du suicide a expliqué qu'il existe «un grand nombre de causes sous-jacentes complexes jouent un rôle crucial dans le comportement suicidaire». La pauvreté, le chômage, les ennuis professionnels et l'isolement social sont en tête de liste. De son côté, le Professeur Ould Taleb, psychiatre à l'hôpital Drid- Hussein, a mis l'accent sur la nécessité de faire de la prévention. Vu le nombre de jeunes gens qui se suicident en Algérie, c'est pour la formation des pédiatres à la pédopsychiatrie qu'il a appelé. Une solution en aval préconisée pour réduire le taux sans cesse croissant des personnes qui, en désespoir de cause, se font hara-kiri...
Le suicide par les chiffres
- Entre 1999 et 2003, le taux des moins de 18 ans qui se sont donné la mort était de 10,66%, les 18 à 48 ans représentaient 62,13% alors que les personnes âgées de 49 ans représentaient de 27,21%.
- La prévalence des personnes dépressives qui passent à l'acte est de 15,69%, celle des déficients mentaux est de19, 69% tandis que ceux qui évoquent des problèmes familiaux sont de l'ordre de 12,31%.
- Entre 1993 et 2003, 63% des suicidés étaient sans profession, 11% étaient fonctionnaires, 8% exerçaient une activité libérale alors que 6% faisaient partie des étudiants.
- Entre 1999 et 2000, 126 personnes se sont pendues, 42 se sont jetées dans le vide, et 28 ont usé d'armes à feu. - Il y a cinq fois plus de tentatives de suicide qui échouent que de suicides effectifs.
N. I.
Le Soir d'Algérie
16 février 2005