Suicide en Algérie : un problème de santé publique
Les spécialistes s'accordent à affirmer que le suicide constitue, aujourd'hui, un véritable problème de santé publique de part les pertes humaines qu'il engendre, mais aussi des problèmes sociopsychologiques qu'il reflète.
Une récente étude réalisée par la Gendarmerie nationale et publiée dans sa dernière revue, a montré une évolution inquiétante de ce phénomène qui a tendance, expliquent les spécialistes, à devenir l'une des principales causes de mortalité. Le suicide touche, selon l'étude, une importante couche de la population, notamment juvénile, « poussant les spécialistes à tirer la sonnette d'alarme ». Il touche surtout les wilayas de Béjaïa, Tizi Ouzou, Bouira, Tlemcen, Oran, Skikda et Mila. De 1993 jusqu'au 31 août 2005, la Gendarmerie nationale a traité 3709 affaires de suicide et 1423 tentatives. Les suicides constatés concernent 2787 hommes, soit 75,08% des cas, et 924 des femmes, soit 24,91% des cas. Pour l'année 2005, les enquêteurs ont enregistré 136 suicidés dont 112, soit 82,35%, sont des hommes, et 24, soit 17,64%, sont des femmes, pour la plupart célibataires. Les recherches ont montré que le désire de mettre un terme à sa vie touche surtout les jeunes âgés entre 18 et 40 ans, avec 2974 cas, constatés entre 1993 et août 2005. Néanmoins, 66 cas de suicide ont été enregistrés durant l'année 2004 chez les personnes âgées de plus de 40 ans et 34 cas pour les seuls huit mois de l'année 2005. Pour les moins de 18 ans, la gendarmerie a recensé 24 cas en 2004 et 10 cas entre le 1er janvier et le 31 août 2005. Les suicidés viennent de différentes couches de la société, mais sont souvent des personnes sans profession avec 63% des cas.
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Les fonctionnaires représentent 11% des cas, les employés 12%, les activités libérales 8% et les étudiants 6%. Le moyen le plus utilisé (70% des cas) dans les suicides est la pendaison, l'empoisonnement, les armes à feu ou blanches, les objets tranchants. Cependant, il est important de préciser que les hommes recourent souvent aux armes à feu ou à la pendaison alors que les femmes préfèrent l'empoisonnement à l'aide de produits chimiques. Les spécialistes ont estimé que les principales causes du suicide sont, dans la majorité des cas, impossibles à connaître du fait que ce geste désespéré a toujours été considéré par la société comme étant « un acte contraire à l'Islam et aux traditions ». Souvent, les familles refusent de divulguer les raisons qui ont poussé un de leur membre à mettre fin à sa vie. Néanmoins, l'étude a permis de faire ressortir plusieurs facteurs qui poussent au suicide, notamment psychologiques. D'abord, les troubles mentaux, ou psychoses, qui impliquent une perte de contact avec le réel, les troubles non-psychotiques, ou névroses, qui, généralement, n'impliquent pas de rupture avec le réel, mais rendent la vie pénible, malheureuse, et enfin les troubles de la personnalité qui affectent les psychopathes et sociopathes ainsi que les individus présentant d'autres comportements excessifs ou déviants. « Il a été démontré que la plupart des personnes suicidées, soit 874 cas, souffrent de troubles mentaux : 31 cas en 2004 (24 hommes et 6 femmes), 24 cas (22 hommes et 2 femmes) constatés durant les huit premiers mois de 2005 ».
Pour mieux expliquer ce phénomène, les spécialistes ont indiqué que l'évolution de la famille algérienne, due essentiellement aux facteurs socioéconomiques, a laissé des séquelles apparentes sur la structure de la société. Les effets de ses changements ont été accentués par les affres du terrorisme qui ont profondément traumatisé la société toute entière. « La violence et la barbarie dues au terrorisme ont eu des conséquences négatives, telles que la douleur, la souffrance et l'échec sous toutes ses formes. D'autres problèmes sociaux, tels que la crise du logement, le chômage, le vide culturel, les problèmes relationnels, les échecs scolaires, la drogue et l'oisiveté, sont venus se greffer sur la situation de violence, facteurs qui ont lourdement influé sur la personnalité des individus et, graduellement, de nouveaux comportements se sont manifestés sous plusieurs formes, tels que le suicide, puisque 12% des suicidés souffrent de problèmes sociaux. » L'enquête a également noté que la dépression nerveuse, qui est une tristesse persistante et profonde sans raison apparente, touche 15,69% des suicidés. Ainsi, en 2004, 15 cas ont été constatés, alors que durant les huit premiers mois de 2005, il y a eu 18 cas et 10 tentatives. Caractérisé par la détresse et l'angoisse éprouvée dans une situation difficile ou dangereuse vécue, le désespoir a été constaté chez 15% des suicidés. Entre le 1er janvier et le 31 août 2005, les gendarmes ont constaté 5 cas souffrant de désespoir et 11 cas durant l'année 2004. Les statistiques ont montré que les suicidés souffraient dans 3,67% des cas de désespoir, dans 13,23 % des cas de dépression nerveuse, dans 16,17% des cas de problèmes familiaux et dans 17,64% des cas de maladies mentales. Dans 49,26% des cas, les raisons ne sont pas connues. Ce qui laisse le phénomène très méconnu des spécialistes et rend difficile toute intervention tendant à le réduire.
Salima Tlemçani
El Watan
5 mars 2006
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