Le sujet reste encore tabou : 10 000 tentatives de suicide chaque année
Tous les ans, environ 10 000 personnes, pour la plupart des adolescents, tentent de se donner la mort dans notre pays. Un certain nombre d'entre eux, environ un millier chaque année, y réussissent, leurs appels au secours, leurs différents messages de détresse n'ayant trouvé aucune écoute ni au niveau institutionnel ni au niveau de la sphère familiale. Un drame tragique dont les proportions à travers le monde ont pris les dimensions d'un phénomène de santé publique. Selon l'OMS, chaque année dans le monde, entre 500 000 à 1 million de personnes meurt des suites d'un suicide. Malgré cette ampleur, le sujet reste largement frappé de tabou dans de nombreuses sociétés. Pour sensibiliser sur ce problème pas tout à fait récent, l'Association algérienne des psychiatres d'exercice privé, en collaboration avec la Société algérienne de psychiatrie et la Société franco-algérienne de psychiatrie, a organisé un symposium jeudi dernier sur ce thème d'actualité.
Voilà bien une vingtaine d'années que de nombreux experts prévoyaient une explosion des pathologies psychosociales dans la majorité des pays à travers le monde dans les années 2000, les motifs de consultation étant pour 80 % de nature psychologique, particulièrement chez les jeunes. La prédominance des troubles mentaux et des comportements à risque vient d'être confirmée par la plus haute instance sanitaire mondiale, l'OMS, qui a entièrement consacré un de ses récents rapports annuels de la santé dans le monde (RSM 2001) à la question de la santé mentale. Dans ce rapport, on apprend que la dépression est appelée à figurer comme l'une des principales causes de morbidité, sinon la première, et que parmi les dix principales causes des handicaps et d'invalidité, cinq sont de nature neuropsychiatrique.
Le suicide ou le comportement suicidaire fait donc partie de ce qu'on appelle « les nouvelles morbidités » au même titre que les autres comportements à risque prédominant chez les adolescents et les adultes jeunes, en l'occurrence l'abus de drogues, les toxicomanies, les conduites suicidaires, les accidents et les traumatismes, les violences intentionnelle et non intentionnelle, qui ont désormais leur place dans la nosographie médicale : « la classification internationale des maladies » (CIM). Les principales communications présentées à ce colloque s'accordent à dire que dans 90 % des cas, le candidat au suicide présente des troubles psychiatriques ou des troubles de la personnalité pas forcément pathologiques mais facilement décelables par un professionnel de la santé mentale. La tragédie du suicide serait donc aisément évitable pour peu qu'un réseau de centres d'écoute médico-psychologique soit largement déployé dans la communauté (dispensaires de quartier, polycliniques, maisons des jeunes, écoles, centres de formation professionnelle, universités). La multiplication de ces espaces thérapeutiques de proximité dans les établissements éducatifs et autres structures permettraient de traiter la souffrance morale des sujets en détresse psychologique. Encore faudrait-il que dans la représentation sociale de la pathologie, la maladie mentale soit considérée en tant que telle et non pas comme une « honte » toute juste bonne à cacher et à stigmatiser. Une des interventions dans le débat a attiré l'attention sur l'insuffisance des travaux et des études en épidémiologie psychiatrique pour expliquer la répartition, l'ampleur, la nature des différents troubles dans la population et leur évolution durant ces dernières années en Algérie.
Selon de nombreux auteurs, le contexte sécuritaire de la dernière décennie, notamment l'explosion de la violence qui a duré de longues années, peut avoir des séquelles sur la santé mentale dont l'ampleur reste largement méconnue. L'absence de politique claire en matière de soins de santé mentale, notamment une déperdition grave des infrastructures de soins psychiatriques et de législation adéquate, a été également soulevée, amenant un des orateurs à évoquer l'échec de la politique de la santé mentale. A quand le juste essor de la psychiatrie, spécialité de la santé publique par excellence restée hélas le parent pauvre de la médecine ?
Boualem Tchicha
Le Matin
6 février 2004