Le malade mental, un citoyen
Au moment où se déroule un séminaire sur l'organisation et la mise à niveau des hôpitaux et services de psychiatrie, il m'a semblé utile que notre association, l'APAMM, apporte sa contribution, pour insister sur l'importance de l'accompagnement dans la préservation de la dignité et des droits citoyens du malade mental.
La maladie mentale reste largement méconnue, elle inquiète, elle fait peur. Pourtant, une personne sur quatre souffre de troubles mentaux au cours de sa vie. Les troubles psychiatriques avérés sont associés à une forte mortalité par suicide auquel il faut ajouter la mortalité accidentelle où liée à la consommation de tabac, d'alcool et de drogue. La maladie mentale fait payer un lourd tribut à ceux qui en sont atteints et à leur famille. Le tribut de la souffrance psychique en tout premier lieu, une souffrance telle qu'elle peut conduire à l'hospitalisation. Quand les conditions existent. Le tribut des conséquences individuelles. La maladie mentale touche la vie quotidienne des personnes obérant parfois les soins les plus élémentaires. La maladie mentale pèse sur l'activité professionnelle et elle est cause de l'isolement social. Elle pèse également sur l'entourage familial qu'elle fragilise, voire qu'elle détruit ce problème doit être appréhendé avec responsabilité, car il ressort des droits de l'homme, comme l'affirme la résolution 119 des Nations unies. Toute nouvelle politique de santé mentale doit l'intégrer comme un impératif et veiller à ce que les principes propres à toute personne humaine soient respectés. En particulier, la lutte contre la stigmatisation et sa cohorte de préjugés, vivaces dans une société comme la nôtre, très peu informée, travaillée par la superstition et bloquée par les tabous.
La présence de plus en plus de maladies dans la cité doit nous interpeller quant à leur condition de vie. Les personnes atteintes de troubles psychiques sont confrontées à la solitude et aux difficultés de vivre socialement comme les autres, alors qu'elles traversent des périodes de stabilisation plus ou moins variables. Le plus souvent, elles ne peuvent nouer des liens sociaux, car elles tendent à être exclues des activités ou des relations que procure la vie normale. Si la maladie mentale est aussi une maladie du lieu social et une recherche d'identité, l'incompréhension de l'environnement vis-à-vis des troubles psychiques ne favorise pas la stabilisation ou la guérison.
Nos psychiatres dont le nombre est insuffisant sont submergés par une demande de soins de plus en plus forte; ils font preuve de prodige pour répondre à une situation que complique encore plus l'absence de moyens adéquats et de structures adaptées. Leur dévouement remarquable pour prendre en charge ce drame humain, malgré les problèmes multiples auxquels ils doivent faire face, à savoir les carences de l'administration, l'indifférence des responsables et élus locaux et les insuffisances de la justice, mérite d'être noté. Il est digne d'éloge.
Mais le résultat de leur travail ne peut être pérennisé que si des dispositions sont prises pour accompagner le malade dans un programme d'insertion. Le programme national de santé mentale de 2001 n'aborde cet aspect que sommairement et le concept n'est pas suffisamment explicite. Des spécialistes étrangers ont réfléchi sur le problème, nous pouvons nous inspirer de leurs idées, comme nous pouvons aussi nous inspirer des expériences réussies dans ce domaine, pour penser une politique de réadaptation et de réinsertion. L'expérience des clubs thérapeutiques qui ont été inventés en France par des psychiatres progressistes est une piste intéressante. Leur objectif est d'accueillir le patient d'une façon humaine d'abord, sans ségrégation, de favoriser le traitement psychiatrique en faisant appel à toutes les composantes offertes actuellement par la science psychiatrique (médicaments, psychothérapie, ateliers thérapeutiques), puis de se servir de ces structures de club thérapeutiques pour faciliter la participation des patients à l'organisation de leur vie quotidienne par le biais du groupe pour utiliser chez eux leurs «parties saines», leurs potentialités afin de lutter contre leurs parties malades en souffrance.
Ces dispositifs de soin se situent à l'intérieur de l'hôpital et s'inscrivent dans la durée. D'autres formules peuvent être explorées dont le but est de faire sortir les patients d'un enfermement qui existe, même lorsque les murs de l'hôpital sont absents, où le social est une dimension qui conditionne en partie la place du malade et sa souffrance psychique. Cette situation implique un nouvel état d'esprit et de nouveaux processus.
Dans un ouvrage intitulé Parcours du sanitaire au social en psychiatrie, Bernard Jolivert formalise un itinéraire du malade dans ce qu'il appelle un espace-temps. La réadaptation et la réinsertion sont liées à l'hôpital et au sanitaire. La réhabilitation implique le malade en tant que personne et la société dans son action. Le sanitaire comprend les soins curatifs qui sont une réponse aux déficiences entraînées par la maladie, ils permettent le rétablissement du lien avec soi. Les soins de réadaptation répondent aux incapacités créées par la maladie. C'est par exemple la réadaptation par le travail au sein des structures hospitalières, l'apprentissage de la sociabilité et du lien solidaire. La réhabilitation plus proche de l'activité sociale veut réparer les désavantages manifestés par la situation du malade. Elle favorise le rétablissement du lien avec les autres, la sociabilité et la réinsertion par le travail ou par des activités au sein du tissu social. Ce trajet n'est pas linéaire, il est interactif et peut être modifié à tout moment.
Dans le domaine de la réhabilitation, M. Jolivet s'inspire du courant anglo-saxon et d'un groupe de travail constitué par la fédération qui animent les clubs dont j'ai parlé précédemment et l'association française des familles et amis des malades mentaux. L'auteur tente de clarifier les concepts de réhabilitation qui lui sont apparus imprécis chez les Américains.
Il en donne deux définitions : «La réhabilitation psychosociale est une approche thérapeutique pour les soins des individus malades mentaux qui encourage chaque patient à développer... ses capacités à travers des procédures d'apprentissage et de soutien environnementaux... La réhabilitation peut être définie comme l'utilisation intelligent de la solidarité ; la nécessité de notre contribution se situe partout et nous devons être capables d'agir dans une grande variété de situations dans lesquelles nous pouvons rencontrer des malades mentaux maltraités, négligés... insuffisamment traités».
Pour M. Jolivet, ces deux définitions ne sont pas contradictoires, l'une met l'accent sur la thérapeutique, l'autre sur la solidarité. La réhabilitation psychosociale est centrée sur l'individu pour développer ses propres forces, ses compétences cognitives et émotionnelles, à condition d'obtenir l'engagement personnel du soigné. C'est une action individualisée qui s'appuie sur les propres forces du patient. Un programme n'est pas défini une fois pour toute ; la réhabilitation est par nature évolutive et diverse selon les cas considérés. De plus, la réhabilitation psychosociale comprend le travail, mais un travail intégré dans la réalité sociale qui va des activités rémunérées à d'autres projets ou activités de vie.
La réhabilitation peut être considérée comme la recherche d'un pragmatisme qui place au centre du dispositif l'individu comme acteur. Elle n'exclut pas l'effort thérapeutique du professionnel, elle le complète. La réhabilitation doit se faire au plus près du malade, elle est aussi l'affaire du politique et de la société pour réintégrer le malade mental dans sa dignité et sa citoyenneté.
Noureddine Benferhat
Président de l'APAMM (Association des parents et amis des malades mentaux)
100, rue Didouche Mourad - Alger
La Nouvelle République
18 février 2005